Soutenance de thèse de Doriane SLAGHENAUFFI

Ecole Doctorale
ESPACES, CULTURES, SOCIETES - Aix Marseille
Spécialité
Anthropologie
établissement
Aix-Marseille Université
Mots Clés
chamanisme,évangélisme,prédation,Pérou,new age,Shipibo
Keywords
shamanism,evangelism,predation,Peru,new age,Shipibo
Titre de thèse
Korikiati Comment les chamanes shipibo d'Amazonie péruvienne pensent le tourisme, le prosélytisme protestant et l'esprit du capitalisme.
Korikiati How the shipibo shamans of the Peruvian Amazon think tourism, Protestant proselytism and the spirit of capitalism.
Date
Jeudi 12 Décembre 2019
Adresse
MMSH,5 Rue Château de l'Horloge, 13090 Aix-en-Provence, France
salle Paul-Albert Février,
Jury
Directeur de these M. Frédéric SAUMADE Aix Marseille Université
Rapporteur M. Oscar ESPINOSA Pontífica de Lima
Rapporteur M. Pierre DELEAGE Laboratoire d'anthropologie sociale (CNRS)
Examinateur M. Christophe PONS Aix Marseille Université
Examinateur Mme Françoise MORIN Université Lyon 2
Examinateur Mme Antoinette MOLINIE Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (LESC)
Examinateur Mme Magali DEMANGET Université Paul-Valéry Montpellier 3

Résumé de la thèse

Cette thèse propose une analyse anthropologique des dynamiques de la société shipibo contemporaine au contact des réalités politiques / économiques occidentales, du tourisme chamanique et du prosélytisme évangéliste protestant. Elle se concentre sur le cas du village péruvien de San Francisco, dont la particularité, contrairement à la plupart des autres villages amazoniens, est d’être situé à proximité d’une ville (Pucallpa). Cette situation géographique, supposée signifier l’acculturation de la population locale, permet à de nombreux chamanes de développer de nouvelles structures destinées à recevoir des touristes occidentaux en quête d’expériences chamaniques et hallucinogènes et attirés par la réputation internationale de la préparation dite ayahuasca. Cette opportunité originale est apparue dans un contexte de perturbations de la culture traditionnelle shipibo, agitée par de profonds bouleversements révélateurs d’une crise qui est à la fois économique, culturelle, sociale, politique, religieuse et écologique. A cet égard, la pénétration et l’influence de plusieurs églises protestantes, qui remettent en question l’ancienne hégémonie spirituelle coloniale catholique en soulignant l’effet guérisseur de la religion, et qui favorisent, sans la contrôler vraiment, la propagation d’un certain état d’esprit capitaliste parmi les entrepreneurs chamaniques, est particulièrement significative. L’enquête ethnographique illustre la manière dont les Shipibo appréhendent de manière critique la présence de ces différents éléments impérialistes dans le village. Malgré la marginalisation économique qui affecte les populations locales, certains chamanes astucieux tirent profit de l’altération de leur société, via le rituel et la mythologie de l’ayahuasca, ainsi que leur reconfiguration à travers le marketing et les références chrétiennes, pour renforcer la logique d’altérité constituante et la relation prédatrice sur laquelle est traditionnellement structurée l’ontologie amazonienne. En effet, au-delà de la richesse monétaire générée par ce type de tourisme, la cure chamanique et les techniques mises en œuvre par les spécialistes rituels, qui font appel à des éléments modernes tels que les livres, la technologie et les biens de consommation, constitueraient un ensemble de mécanismes subversifs destiné à restituer symboliquement la supériorité du monde shipibo sur le monde occidental. Parallèlement, les églises protestantes du village se consacrent au traitement des maux qui affectent la culture autochtone, tout en mobilisant paradoxalement des pratiques et des croyances syncrétiques qui peuvent faire sens pour les Shipibo convertis à ce christianisme indigénisé. Un tel culte peut être accrédité par des chamanes convertis qui affirment par ce biais une éthique religieuse shipibo considérée comme plus pure et supérieure à celle des « Blancs » à l’origine de la religion protestante. Dans la complexité de cet enchevêtrement culturel, la reconfiguration structurelle à l’œuvre dans le village met en évidence les mécanismes de résilience que les Shipibo sont capables de déployer à travers le chamanisme, afin de faire face à la crise introduite par l'acculturation, voire à tirer profit de l’évangélisation et de l’économie de marché.

Thesis resume

This thesis dissertation proposes an anthropological analysis of the dynamics that involve current Shipibo society, in contact with Western political/economical rules, shamanic tourism and Protestant evangelist proselytism. It is focused on the case of the Peruvian village of San Francisco, whose particularity, unlike most other Amazonian villages, is to be located close to a city (Pucallpa). This geographic situation, that is supposedly meaning the acculturation of the local population, allows many shamans to develop a new form of business in hosting Western tourists, that are attracted by the appeal of the famous ayahuasca preparation, and are looking for shamanic and hallucinogenic experiences. This original opportunity has appeared within a context of disturbances of the traditional Shipibo culture, affected by the profound upheavals of a crisis that includes economic, cultural, social, political, religious and ecological dimensions. Regarding this, the penetration and the influence of several Protestant churches, that challenge the former colonial catholic spiritual hegemony by highlighting the healing effect of religion, and favor, at the same time and unwillingly, the spread of a certain capitalistic state of mind among the shamanic entrepreneurs, is particularly relevant. The ethnographic survey illustrates the way the Shipibo apprehend critically the presence of these different imperialistic elements in the village. Eventually, besides the economical marginalization that local peoples are generally suffering from, some astute shamans are able to take advantage of the alteration of their society by reinforcing, via the ritual and mythology of the ayahuasca and their reconfiguration through marketing and Christian references, the logic of the constituent otherness and predatory relationship on which Amazonian ontology is classically structured. Indeed, beyond the monetary wealth that this kind of tourism generates, the shamanic cure and the techniques implemented by ritual specialists, involving modern elements such as books, technology and consumer goods, would constitute an array of subversive mechanisms in order to restore symbolically the superiority of the Shipibo world over the Western world. At the same time, the Protestant churches of the village are dedicated in the treatment of the diseases that affect the indigenous culture, while paradoxically mobilizing syncretic practices and beliefs that might make sense for the Shipibo who have embraced this rather altered Christianism. Such a transformed cult may be supported by converted shamans who assert by the way a Shipibo religious ethic that happens to be considered as purest and superior to White people’s from which is supposed to belong the Protestant religion. In the complexity of this cultural entanglement, the structural reconfiguration at work in the village highlights the processes of resilience that the Shipibo are able to deploy through shamanism, aiming to cope with, or even take advantage of the crisis that has been introduced by acculturation, evangelization and market economy.